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Gabon : La difficile relance économique après une élection contestée

Depuis la crise post-électorale, l’économie gabonaise tourne au ralenti. Malgré la nomination d’un nouveau gouvernement, la rentrée scolaire a été reportée à une date encore non définie et plusieurs secteurs d’activité ont été lourdement impactés par l’instabilité socio-politique dans laquelle a baigné le pays pendant plus d’un mois. Une situation qui, selon l’analyste économique Mays Mouissi, ne devrait pas s’améliorer sur le court ou moyen terme. Dans cet entretien accordé à La Tribune Afrique, il donne ses raisons. Explications.

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Publié le 24 novembre 2016  ©mays-mouissi.com/2016

Depuis la crise post-électorale, l’économie gabonaise tourne au ralenti. Malgré la nomination d’un nouveau gouvernement, la rentrée scolaire a été reportée à une date encore non définie et plusieurs secteurs d’activité ont été lourdement impactés par l’instabilité socio-politique dans laquelle a baigné le pays pendant plus d’un mois. Une situation qui, selon l’analyste économique Mays Mouissi, ne devrait pas s’améliorer sur le court ou moyen terme. Dans cet entretien accordé à La Tribune Afrique, il donne ses raisons. Explications.

La Tribune Afrique : Le conflit électoral qui a secoué le Gabon en marge de la présidentielle 2016 a causé d’importants dommages à l’économie du pays. Alors qu’elle était déjà mise à mal notamment par la chute du cours du pétrole. Quelle est votre analyse de la situation économique du Gabon à ce jour ?

Mays Mouise : L’économie gabonaise telle qu’on peut l’observer aujourd’hui tourne au ralenti. Le pays ne s’est pas encore remis de la crise post-électorale et un grand nombre de gabonais continue de contester la légitimité du chef de l’Etat déclaré élu. Ce dernier est en effet accusé d’avoir manipulé les résultats du scrutin en sa faveur et de s’être imposé à la tête de l’Etat par la violence. Il en résulte une crise de confiance voire même une défiance d’une large frange de la population à l’égard du pouvoir en place. Cette situation a pour effet de maintenir l’économie nationale dans une sorte d’atonie. On ne mesure pas encore très bien l’impact quantitatif de cette crise sur l’économie du Gabon, mais on peut d’ores et déjà observer un ralentissement économique qui se traduira, à mon avis, par une perte de 1 à 2 points de croissance du PIB. Ce ralentissement est évidemment dû à la crise post-électorale, mais surtout à la perte de richesse causée par au moins 2 mois où l’activité économique fut atone et parfois arrêtée à certains endroits. Bien qu’une timide reprise d’activités soit observée, on note cependant un début de contestation sociale notamment dans l’administration publique avec le dépôt de plusieurs préavis de grève qui risquent de casser la dynamique de la reprise.

Le nouveau gouvernement entame son mandat en mauvais terme avec le premier partenaire économique du Gabon qu’est la France. Comment cela pourrait-il impacter la situation du pays ? Le Gabon pourrait-il se tourner vers d’autres partenaires ?

La France est encore aujourd’hui le premier client et premier fournisseur du Gabon. C’est donc un partenaire économique stratégique avec lequel le Gabon a intérêt à conserver de bonnes relations. Pourtant certains membres du gouvernement gabonais ont fait preuve de légèreté en tenant des propos inconvenants envers la France, les entreprises et la diplomatie française. Pire encore, invités à observer le déroulement du processus électoral au Gabon, les observateurs de l’Union Européenne, parmi lesquels des parlementaires européens, aurait vraisemblablement été mis sur écoute téléphonique en dehors de toutes procédures judiciaires et même menacés de mort. Les autorités gabonaises auraient ainsi pris le risque de se fâcher aussi bien avec la France qu’avec l’Union européenne. Malheureusement, ces méthodes ne serviraient pas les intérêts économiques du pays car elles pourraient aboutir à un désintérêt des investisseurs occidentaux envers le Gabon. Si les relations politiques et diplomatiques avec l’occident devaient continuer de se dégrader, la situation et le cours actuel des événements laissent à penser que certains acteurs économiques présents au Gabon seraient susceptibles de se retirer avec les conséquences que l’on imagine.

Concernant la possibilité de diversifier les partenaires économiques, il s’agit d’une nécessité plus qu’évidente. L’objectif n’étant pas de remplacer la France et les autres partenaires historiques importants mais plutôt de constituer un apport supplémentaire aux investissements réalisés par nos partenaires traditionnels.

La tension socio-politique dans un pays a coutume de freiner l’engouement des investissements étrangers. Alors que le Gabon est engagé dans une stratégie de diversification de l’économie avec de grosses attentes en termes d’IDE, à quoi pourrait-on s’attendre selon vous ?

Bien évidemment, aucun investisseur de long terme ne prendrait le risque de s’engager dans un pays où le climat politique est délétère, où les populations sont sclérosées par la crainte d’être réprimées pour peu que leurs opinions divergent de celles du pouvoir en place, dans lequel l’on observe des arrestations arbitraires et où les seules voix audibles sont celles qui chantent les louanges du régime. Dès lors peu importe la qualité des stratégies de diversification économique élaborées par l’Etat gabonais, celles-ci demeureraient inopérantes en raison d’un risque pays trop élevé. Par ailleurs, malgré ces stratégies de diversification de l’économie, on observe que la position du Gabon au classement « Doing Business » de la Banque mondiale, lequel mesure la qualité de l’environnement des affaires, continue de se dégrader. La qualité de l’environnement des affaires étant un indicateur particulièrement regardé par les investisseurs, on peut comprendre une certaine hésitation de leur part à venir s’installer au Gabon.

Quels sont, selon vous, les leviers sur lesquels le prochain gouvernement pourrait s’appuyer afin de relancer la machine économique ?

Dans le contexte actuel au Gabon, il est difficile d’envisager une relance économique sans que ne soient soldées les questions relatives à la crise post-électorale et à l’absence de légitimité du Président Ali Bongo. C’est là, à mon sens, que réside la clé de la relance économique. Le Gabon dispose d’atouts énormes pour se diversifier, un sol et un sous-sol riches en pétrole notamment. Malgré une production en déclin, le pétrole contribue encore à près de 50% du budget national. Il y a également du manganèse dont l’exploitation rapporte moins de ressources que le pétrole mais a le mérite d’employer directement entre 4000 et 5000 personnes. Ce qui n’est pas négligeable, quand on sait que le Gabon est très faiblement peuplé (environ 1.8 millions d’habitants). En outre, le pays produit chaque année quelques dizaines de tonnes d’or, essentiellement issues de productions artisanales. Il expérimente également l’exploitation de gisements polymétalliques. Enfin lorsqu’on prend le temps d’observer la carte minière du Gabon, on est frappé par le fait que la grande majorité des gisements miniers économiquement viables du Gabon demeurent inexploités souvent parce qu’ils sont enclavés. En dépit de cela, ces gisements assurent au Gabon un avenir puisque tôt ou tard ils seront mis en exploitation.

En plus de cela, le pays dispose d’une population jeune, dynamique, de mieux en mieux formée et une position géostratégique sur le continent africain etc. C’est autant d’atouts sur lesquels ce pays doit s’appuyer pour assurer sa relance économique. Encore faudrait-il que les populations se reconnaissent dans leurs dirigeants et dans leurs institutions, ce qui, à l’heure actuelle, est loin d’être le cas.

Propos recueillis par Ristel Tchounand, Journaliste à La Tribune.

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