Résolution du Parlement européen du 2 février 2017 sur la crise de l’état de droit en République démocratique du Congo et au Gabon (2017/2510(RSP)

Le Parlement européen,

(…)
 

A.  considérant que l’état de droit, la responsabilité, le respect des droits de l’homme et des élections libres et équitables sont un élément essentiel au bon fonctionnement de toute démocratie; que ces éléments ont été attaqués dans certains pays de l’Afrique subsaharienne, dont la RDC et le Gabon, plongeant ainsi ces pays dans une longue période d’instabilité politique et de violence;

B.  considérant que, tout récemment, Ali Bongo, le président gabonais sortant, au pouvoir depuis la mort de son père, Omar Bongo, en 2009, a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle de 2016; que les observateurs internationaux, et en particulier la MOE de l’Union européenne, ont relevé d’évidentes anomalies dans la consolidation des résultats;

C.  considérant que Jean Ping, son principal adversaire, a immédiatement contesté ces résultats; qu’un recours pour irrégularité et recomptage a été déposé à la Cour constitutionnelle, qui a fini par confirmer les résultats; que, néanmoins, l’examen du recours n’a pas dissipé tous les doutes entourant les résultats de l’élection présidentielle;

D.  considérant que le président congolais Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, a retardé les élections et est resté au pouvoir au-delà de la fin de son mandat constitutionnel; que ceci a causé des tensions politiques, des troubles et des violences sans précédents dans tout le pays;

E.  considérant qu’on a assisté à une escalade de la violence après la date d’expiration du mandat du président Kabila, causant la mort d’au moins quarante personnes dans des affrontements entre manifestants et forces de sécurité; que, selon les Nations unies, 107 personnes ont été blessées ou maltraitées et qu’il y a eu au moins 460 personnes mises en détention;

F.  considérant qu’un accord a été signé le 18 octobre 2016 entre le président Kabila et une partie de l’opposition afin de reporter les élections présidentielles à avril 2018; qu’aux termes de plusieurs mois de négociations, les parties à l’accord du 18 octobre 2016 ont pu conclure, le 31 décembre 2016, un accord politique global et inclusif; que cet accord prévoit le premier transfert de pouvoir pacifique dans le pays depuis 1960, la mise en place d’un gouvernement transitoire d’unité nationale, la tenue d’élections d’ici à la fin de l’année 2017, et le retrait du président Kabila;

G.  considérant que des manifestations de rue ont éclaté dans ces deux pays et qu’elles ont été violemment réprimées, entraînant la mort de plusieurs personnes; que les autorités s’en sont prises aux représentants de l’opposition et de la société civile qui s’opposent au pouvoir en place; que les groupes de défense des droits de l’homme font continuellement état de l’aggravation de la situation en ce qui concerne les droits de l’homme et la liberté d’expression et de réunion, comme le recours à une force excessive contre des manifestants pacifiques, les arrestations et détentions arbitraires et les procès répondant à des motivations politiques;

H.  considérant que la liberté des médias s’est gravement détériorée et qu’elle est restreinte du fait que les journalistes font constamment l’objet de menaces et d’attaques; que des médias et des stations de radio ont été fermés par les autorités et qu’internet et les réseaux sociaux ont fait l’objet de restrictions;

I.  considérant que l’une des caractéristiques d’une démocratie est le respect de la Constitution, sur laquelle se fondent l’État, les institutions et l’état de droit; que la tenue d’élections pacifiques, libres et équitables dans ces pays aurait largement contribué à relever le défi du progrès démocratique et de l’alternance du pouvoir auquel la région d’Afrique centrale est confrontée;

J.  considérant que le programme indicatif national 2014-2020 du 11e  Fonds européen de développement donne la priorité au renforcement de la démocratie, de la gouvernance et de l’état de droit; qu’aussi bien les partenaires européens qu’africains ont tout intérêt à ce que la démocratie continue de se développer et à ce qu’un système constitutionnel pleinement fonctionnel s’installe;

1.  déplore les pertes de vies humaines au cours des manifestations organisées ces derniers mois dans les deux pays et présente ses plus sincères condoléances aux familles des victimes et à la population de la RDC et du Gabon;

2.  est profondément préoccupé par la situation de plus en plus instable dans ces deux pays; invite instamment les autorités, et avant tout les présidents, à respecter leurs obligations internationales, à garantir les droits de l’homme et les libertés fondamentales et à gouverner dans le respect le plus strict de l’état de droit;

3.  condamne vivement toutes les violences perpétrées au Gabon et en RDC, les violations des droits de l’homme, les arrestations arbitraires et les détentions illégales, l’intimidation politique de la société civile et des membres de l’opposition ainsi que les violations de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans le contexte des élections présidentielles; demande la levée des restrictions pesant sur les médias et la libération de tous les détenus politiques;

Gabon

4.  considère que les résultats officiels de l’élection présidentielle manquent de transparence et sont extrêmement douteux, ce qui a pour effet de remettre en cause la légitimité du président Bongo; regrette que le processus de recours ayant attribué la victoire à Ali Bongo se soit déroulé d’une manière opaque, et que les irrégularités constatées dans certaines provinces n’aient pas été suffisamment prises en compte par la Cour constitutionnelle, notamment dans le Haut-Ogooué, fief d’Ali Bongo; déplore le refus de la Cour constitutionnelle de procéder au recomptage des voix et de comparer les dépouillements avant la destruction des bulletins;

5.  s’inquiète profondément de la crise politique au Gabon et des violences qui ont eu lieu entre manifestants et forces de sécurité à la suite de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 2016;

6.  dénonce fermement les manœuvres d’intimidation et les menaces dont les membres de la MOE de l’Union européenne ont été victimes, ainsi que les mises en cause de sa neutralité et de sa transparence; déplore profondément le fait qu’en dépit du protocole d’accord signé avec le gouvernement gabonais, la MOE de l’Union européenne n’ait eu qu’un accès limité aux étapes de centralisation des résultats au niveau des commissions électorales locales (CEL) et au siège de la commission électorale nationale (CENAP), et que la MOE de l’Union européenne ait ainsi été empêchée d’observer des éléments essentiels du processus électoral présidentiel;

7.  prend acte du lancement prévu d’un dialogue national, tel que proposé par Ali Bongo; émet des réserves quant à la crédibilité et à la pertinence de tels processus; rappelle que la principale figure de l’opposition, Jean Ping, refuse d’y participer et a lancé et conclu son propre dialogue national;

8.  invite instamment le gouvernement du Gabon à procéder à une réforme approfondie et rapide du cadre électoral, en tenant compte des recommandations formulées par la MOE de l’Union européenne, afin de l’améliorer et de le rendre totalement transparent et crédible; souligne que les autorités gabonaises doivent garantir une coopération pleine et loyale avec tous les acteurs nationaux et internationaux pertinents afin de veiller à ce que les prochaines élections législatives soient totalement transparentes et équitables et se déroulent dans un environnement libre, démocratique, ouvert à tous et pacifique;

9.  demande une enquête indépendante et objective sur les violences électorales et les allégations de violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et souligne la nécessité de veiller à ce que tous les responsables soient traduits en justice; invite, en outre, l’Union européenne, en collaboration avec les Nations unies et l’Union africaine, à continuer de suivre de près la situation générale au Gabon et à signaler tous les cas de violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales; prend acte des demandes d’enquête préliminaire près la Cour pénale internationale (CPI) sur les violences postélectorales;

10.  demande instamment au Conseil de lancer un processus de consultation au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou dès qu’il y aura une absence de progrès dans le dialogue politique intensifié; invite le Conseil, au cas où aucun accord ne pourrait être trouvé dans le cadre du processus de consultation, à envisager d’imposer des sanctions ciblées aux responsables des violences post-électorales, des abus des droits de l’homme et du sabotage du processus démocratique dans le pays;

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18.  invite le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à enquêter sur les graves violations des droits de l’homme qui ont eu lieu récemment dans les deux pays;

19.  invite les autorités congolaises et gabonaises à ratifier la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, et ce dans les meilleurs délais;

20.  demande à la délégation de l’Union européenne d’utiliser tous les outils et instruments appropriés pour aider les défenseurs des droits de l’homme et les mouvements en faveur de la démocratie, et de mener un dialogue politique amélioré avec les autorités, conformément à l’article 8 de l’accord de Cotonou;

21.  invite, en outre, l’Union européenne et les pays ACP, en collaboration avec les Nations unies et l’Union africaine, à continuer de suivre de près la situation générale dans les deux pays;

22.  souligne que la situation au Gabon et en RDC présente une grave menace pour la stabilité de la région d’Afrique centrale dans son ensemble; réaffirme son soutien à l’Union africaine dans son rôle primordial de prévention d’une crise politique dans la région et de toute nouvelle déstabilisation de la région des Grands Lacs;

23.  charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission européenne/haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à l’Union africaine, au Président, au premier ministre et au parlement de la République démocratique du Congo et du Gabon, au Secrétaire général des Nations unies, au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ainsi qu’à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE.